madame bleu est Anlor Gueudret, chorégraphe, chercheuse et pédagogue. D’après sa mère, elle est née « avec de bonnes voûtes plantaires » qui la pré-destinaient à marcher et danser. A l’âge de 10 ans, sa vocation de danseuse naît devant le petit écran, en regardant les Ballets de Redha du générique des Champs Elysées. L’annonce est officielle : elle sera chorégraphe !
Mais ce n’est qu’à 27 ans, après de longue étude, que la prophétie se réalise : elle quitte son travail et intègre l’école des Rencontres Internationales de Danse Contemporaine où elle obtient son diplôme d’État. Elle est formée par Dominique Dupuy, Christine Gérard, Mié Coquempot, Alban Richard...Et elle y fonde un rapport à l’espace aiguisé et un geste précis – loin des enjeux de la virtuosité performative qui l’intéresse peu. Elle préfère une danse quotidienne et habitée, d’un pied sur l’autre, comme une marche consciente d’elle-même.
La marche, celle qui s’éprouve dans l’endurance, elle la découvre à l’adolescence, dans les Pyrénées. C’est là, entourée de cette nature plus grande qu’elle, qu’elle est traversée par « le second souffle », cette force interne qui nous porte au-delà de nos limites, et nous fait accéder à un état de conscience et de corps modifié. Cet élan vital, son appétit pour la marche et cette relation intime au paysage ne la quitteront plus.
Elle s'installe en Ardèche en 2011, où elle est rapidement motivée par un désir de transformer le quotidien, d’aller vers l’autre, dans des espaces ouverts et non-dédiés, de situer son geste et de lui donner du sens : c’est dans les espaces ouverts, urbains ou naturels, et dans le cadre de projets de territoire, qu’elle signe nombre de ses créations chorégraphiques, pour la plupart composées in situ.
Progressivement, l'improvisation en tant que pratique et performance partagée s’impose comme son champ de recherche, d'enseignement et de création, nourri par un rapport familier à l'environnement qu'elle habite. En 2019, elle rencontre la chercheuse Alice Godfroy dans le cadre du Master « Savoirs du Corps Dansant, parcours improvisation » de l’Université de Nice. Cette rencontre est déterminante et lui permet de faire du geste improvisé dans le paysage un véritable sujet d'étude, influencée par des artistes tels que Lisa Nelson.
Anlor est fondamentalement une chorégraphe « du dehors », dont le geste est soutenu par une conscience fine « du dedans » - par une somatique de la présence, solidement étayée par une formation en Analyse Fonctionnelle du Corps dans le Mouvement Dansé (AFCMD), qui lui a permis d’aiguiser son expertise en anatomie du danseur, qu'elle enseigne depuis 2018.
Ce qui l’anime est de révéler et d’accompagner la danse de l’autre, dans ce qu’elle a de spontané et d’irréfutable. Au coeur de son travail, elle interroge la naissance du geste créateur, comme un rapport haptique au monde que l’on touche et qui nous touche, émettant une vibration réciproque.
Elle attache une importance particulière à ce que l’éducation chorégraphique soit accessible à tous et toutes. En Ardèche, où elle déploie une relation fidèle et enthousiaste avec son territoire, ses terrains d’interventions sont multiples : conservatoires, milieu scolaire de la maternelle au lycée, structures de la petite enfance, EPHAD, établissements médico-sociaux. Elle y co-dirige aussi un projet d’art inclusif avec le musicien Baptiste Dupré et plusieurs établissement de personnes « extra-ordinaires », en situation de handicap.
Depuis 2023, elle tente de relier toutes ses obsessions au sein d'une recherche-création qui traite du dialogue entre la danse et la marche : Danser comme je marche. Plus qu'un spectacle, qui n'en est qu'une des manifestations, c'est une étude multifide qui allie la transmission, l'analyse du mouvement, l'improvisation, la composition située et l'écriture intime. A l’échelle biographique ou collective, cette exploration irrigue aujourd’hui en profondeur tout son travail, à l’image des randonnées chorégraphiques de plusieurs jours qu’elle co-organise chaque année sur le plateau ardéchois, en résonance avec les œuvres de la Ligne de Partage des Eaux, et en collaboration avec une équipe de cinq artistes marcheurs : Léa Guitter, Julie Moreau, Federico Venturi et Matthias Poisson.
L’obtention en 2025 des bourses En Recherche (du CNAREP Quelques p’Arts) et Inspiration de l’ADAMI lui permettent de plonger plus radicalement dans cette recherche et de partir marcher à contre-courant de la Loire pendant deux mois. Depuis l’Estuaire jusqu’en Ardèche, reliant ainsi l’endroit d’où elle vient à l’endroit où elle vit, ce parcours de plus de 1100km est l’occasion d’approfondir son étude de la marche et de révéler un récit à la fois autobiographique et anatomique.

pourquoi madame bleu ?
Parce qu 'I want to be independantly blue,
comme Nina Simone.
Parce que je lui dirai les mots bleus de Christophe.
Parce que c'est ma couleur préférée,
et celle des yeux de mon fils,
et de mon père.
Parce que ma robe achetée à Londres.
Parce qu'une paire de chaussure
usées et confortables dans lesquelles j'aime danser
Parce que le bleu du ciel,
et de l'océan.
Parce que ça me va bien.
Parce que Madame B. et que je m'appelle A.
Deuxième lettre de l'alphabet,
après la première
Un double, une ombre
BLEUE
« Tout a commencé avec Michel Drucker.
J'avais 10 ans et je regardais fascinée les ballets de Redha danser à l'unisson pendant le générique des Champs-Élysées. Je rêvais de rejoindre ses chorégraphies faites d'élans et de paillettes.
Je rêvais de créer des danses chorales, avec des pirouettes, des grands jetés et des bras qui volent.
J'avais 10 ans et je voulais être chorégraphe.
Et puis, je me suis perdue en chemin. J'ai fait de longues études comme devait le faire la bonne élève que j'étais alors.
Mais ça m'a rattrapée.
Et je suis devenue chorégraphe.
Mon parcours tardif m'a d'emblée éloignée de la virtuosité et du spectaculaire.
J'ai donc cherché, et je cherche toujours, comment le mouvement fonctionne.
Et comment le transmettre.
J'ai développé une danse de tous les jours.
Une danse piétonne.
Une danse qui marche.
Ou inversement.
Partout.
Une danse qui se fond dans le milieu et s'accorde avec l'autre.
D'un pied sur l'autre. »
